La mode dans l'oeuvre cinématographique de Jacques Demy : "Peau d'Âne"
- Ex-Situ - Courant d'art
- 11 mai 2021
- 7 min de lecture

« Jacques a toujours été au taquet sur les tendances du moment : musique, danse, mode, peinture, rien ne lui échappait » dit Rosalie Varda –Demy.
En 1970, Jacques Demy reprend le conte de Charles Perrault, Peau d’âne pour en faire une oeuvre cinématographique fondée sur une ambivalence entre merveilleux et modernité, au-delà de ses décors ainsi que des effets surréalistes que l’on perçoit tout au long du film. Mais, nous pouvons apercevoir tout au long du film de somptueux costumes appartenant aussi bien au vestiaire masculin qu’au vestiaire féminin. Cependant, nous allons nous intéresser au vestiaire féminin en particulier celui de la jeune peau d’âne interprété par la jeune et innocente Catherine Deneuve tout au long du film.
Les costumes du film Peau d’Âne sont nés de différentes inspirations de ce fait ceux-ci sont des associations du passé et de la modernité du XXe siècle. Le film Peau d’Âne recense quatre costumes emblématiques.
Pour l’enfance de beaucoup, il s’agit de la robe couleur soleil, la robe couleur du temps, la robe couleur lune ainsi que l’emblème du film la peau de l’âne qui produisait des pièces d’or ainsi que des pierres précieuses. Ses somptueuses robes ont été égarées et non conservées au sein de notre patrimoine car lors du tournage du film, les décors ainsi que les costumes ne sont pas forcément considérés comme appartenant au patrimoine cinématographique contrairement à aujourd’hui.
L’histoire de ses changements de robe récurrent pour l’actrice Catherine Deneuve durant le film est la suivante : A la mort de sa mère, son père cherche une femme qui doit succéder à sa défunte épouse, une recherche éprouvante et peu fructueuse, alors dans un désespoir profond il aperçoit sa fille dans le jardin jouant du piano. Il la convoque pour lui proposer de l’épouser. Celle-ci complètement dévastée accoure chez sa marraine la fée qui lui offre ses précieux conseils concernant la situation. La jeune fille fait alors des demandes qui paraissent peu réalisable à son père pour repousser le mariage. De ce fait, elle utilise la coquetterie comme moyen de divertissement.
Elle demande d’abord une robe de couleur du Temps à son père, puis il lui offre alors qu’elle prétexte qu’elle n’est pas assez brillante et demande une robe couleur lune mais celui-ci réussi à la produire. La jeune fille désemparée lui demande une robe plus lumineuse de la couleur du soleil. On lui apporte la robe la plus lumineuse que l’on aurait pu produire dans toute l’histoire du film. Son désespoir et profond mais une idée lui parvient aux oreilles de la part de sa marraine celle de demander la peau de l’âne, la chose la plus précieuse de ce royaume. Un cadeau qui était impensable pour le roi mais pour que son mariage est lieu il décide de répondre à ce besoin, et la princesse reçoit la peau de l’âne en dernier cadeau. Ses changements récurrents de robes sont expliqués par l’histoire de peau d’âne, maintenant nous allons passer à l’étude de ses robes après ce bref rappel du conte.
La première robe est celle couleur du temps, une robe bleu turquoise qui rappelle le ciel bleu extérieur lorsque le temps est calme. Cette robe est inspirée des robes du siècle de Louis XV, on est au début du XVIIIème siècle, les robes sont volumineuses. Dans cette robe couleur du temps on aperçoit la reprise de la robe à corsage baleiné et cintré à découpe simple, une pointe longue s’arrête vers l’estomac par le biais d’une pièce argentée qui ornemente la robe et plus particulièrement le buste ainsi que les manches.
Sur le corsage, on trouve également le soulignement du décolleté par le biais d’une ligne de diamant accompagnée de franges argentées qui souligne le décolleté dans une finesse et dans un reflet de lumière somptueux.
Comme de nombreuses robes, celle-ci possède une traine visible lorsque la princesse s’agenouillait pour saluer son père lors du film. Ensuite, les manches bouffantes et longues, resserrées au niveau de l’avant-bras par une pièce de broderie couleur argent en forme de fleur accompagnée de franges, une harmonie est présente sur le devant de la robe entre le corset et les manches.
La seconde robe est celle couleur de lune. Une robe qui ressemble fortement à la robe que porte la Reine d’Angleterre et d’Irlande Élisabeth Ier dans le portrait de Healy Georges Peter Alexander produit vers 1600.
Dans cette oeuvre, la Reine porte un costume très élaboré dans la mesure où le corps de la robe est brodé d’une multitude de fleurs rappelant le printemps, l’on aperçoit également un grand col en dentelle qui crée une auréole autour du visage de la reine.
Ce col nous renvoie directement à la robe couleur de lune du film « Peau d’Âne » car la jeune fille possède une robe similaire avec un col immense qui met en avant le visage blanc lunaire de la jeune fille. Sur ce col et sur le reste de la robe, on remarque une multitude d’ovales et de ronds déposés sur le tissu, qu’est-ce donc ? Ce sont des miroirs dans lesquels reflètent la lumière et créent encore un effet de luminosité incroyable et typique des dispositifs de Jacques Demy pour apporter une immense touche de merveilleux dans son oeuvre cinématographique.
Les manches de la robe sont légèrement bouffantes car elles sont resserrées sur l’avant-bras, en dessous on remarque un morceau de tulle argenté qui laisse transparaître la peau de la jeune fille.

La troisième robe est synonyme de lumière et dotée d’une prouesse artistique incroyable.
Le buste de la robe est dans le même registre que celles qui la précède, un corset qui s’arrête au-dessus des hanches pour donner l’impression de volume. Le corset est entièrement brodé par le biais de pièce et de fil doré, une ligne de broderie souligne le dessous de la poitrine de la jeune fille et une autre souligne le dessus. Sous sa poitrine, une immense pièce est brodée l’on pense à un motif de type végétal et floral qui reflète la lumière. Ce motif termine le corset en pointe et se mêle parfaitement aux manches de la robe. Ces dernières, couleur soleil, sont plus volumineuses comparées aux autres robes, tout comme la robe couleur lune une pièce remonte la manche et crée des plis.
Les manches relevées laissent paraitre une magnifique mousseline plissée transparente saupoudrée de légère paillettes dorées ce qui apporte à la robe une grande finesse et laissent respirer cette somptueuse robe qui possède un décor très riche.

Des robes riches et d’une prouesse artistique indéniable, l’inspiration de robe qui ont traversé les époques, une inspiration réaliste imposée dans un film basé sur les notions de merveilleux et d’imaginaire. La difficulté première avec le quatrième costume qui apparait dans les demandes de la jeune fille auprès de son père est celle de la peau de l’âne. Une peau imaginée et créée pour l’occasion ou le réalisme avant tout et la récupération d’une vraie peau d’âne ?
La peau de l’âne dans l’oeuvre de Jacques Demy est bien réelle et c’était son souhait, le réalisme prime. La peau de l’âne fait sa première apparition dans le film lorsqu’elle est déposée sur le lit de la jeune fille par son père, lorsqu’elle la regarde on remarque bien évidemment que c’est une vraie. La jeune fille va donc porter cette peau qu’elle accompagne d’une robe légère, un vêtement de nuit qui dans sa simplicité et son élégance nous renvoie à l’oeuvre cinématographique de Jean Cocteau, La Belle et la Bête : une adaptation du conte dans une atmosphère tout aussi créative que celle de Jacques Demy.
De plus, le créateur de ses costumes est Agostino Pace, un scénographe, un chef décorateur, un directeur artistique et un costumier de théâtre et de cinéma qui connait son apogée grâce aux fabuleuses créations qui ont été présentées précédemment.
Lors d’une interview, il dit « On doit sentir les matières des tissus, écrit Demy dans ses notes préparatoires. Brocarts, paillettes, diamants, voiles, cristaux, perles, etc. Simples mais de couleurs vives, illustrations enfantines plus proches de Disney que du bon goût, ou plus Disney que [Gustave] Doré. »
Le but de ce costumier et de Jacques Demy était de créer des robes au plus près de ses croquis malgré la difficulté du réalisme dans un film basé sur la notion de merveilleux, pour le créateur des costumes la difficulté est de trouver les matériaux nécessaires pour ses créations et plus particulièrement la peau de l’âne.

Avant de conclure, une petite Fun Fact sur les pierres précieuses des robes :
Entre 2012 et 2017, une équipe de fouilleurs bénévoles s’emparent d’un lieu du site du tournage du film, le plus emblématique celui de la cabane pour y inventer ce que l’on nomme « l’archéologie du merveilleux ». Les fouilles sont entreprises par l’archéologue Olivier Weller qui crée un documentaire nommé « Peau d’âme ».
Lors de ses quatre campagnes de fouilles, une multitude d’objet sont découverts 4000 objets qui retrace le tournage du film que ce soit au travers du quotidien des artistes et des membres de l’équipe ou au niveau des costumes. L’on retrouve des strass de la robe couleur soleil par exemple comme si Catherine Deneuve dans sa belle robe avait semé l’Histoire de ses costumes du film. Des strass ensevelit qui sont finalement les seules pièces restantes de ses costumes égarés.
Pour conclure, « Peau d’Âne » de Jacques Demy, au-delà d’avoir bercé de nombreux enfants dans un décors merveilleux et dans une morale de l’inceste proposée de manière légère dans un monde merveilleux offre une création artistique au niveau du vestiaire masculin et féminin des acteurs du film étonnant. Les costumes s’intègrent parfaitement dans ce décor synonyme de merveilleux et s’inspirent des styles et des époques historiques qui ont précédé l’époque contemporaine tel que le XVIIe et le XVIIIe siècle.
Lisa Magliano
Sources :
- Denis Bruna, Chloé Demey, Histoire des Modes et du Vêtement du Moyen Âge au XXIe siècle, Paris, Textuel, 2018.
- Rosalie Varda-Demy, Il était une fois « Peau d’Âne », Paris, éditions de la Martinière, 2020.
- Interview d’Agostino Pace disponible sur le site de la Cinémathèque de Paris : https://www.cinematheque.fr/zooms/demy/fr/peaudane.php
- Olivier Weller. Archéologie du merveilleux : la fouille d’un conte de fées (Peau d’âne, J. Demy 1970). European Archaeology: identities & migrations, 2017. hal-03035923
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