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La mode, la féministe et le t-shirt.

En septembre 2017, la nouvelle directrice artistique de la maison Dior Maria Grazzia Chiuri fait sensation à la Fashion Week de Paris grâce à sa toute dernière pièce : un simple t-shirt blanc, coton et lin, brodé du slogan We should all be feminists (nous devons tous être féministes).

Cette phrase est reprise d’un discours de la femme politique nigérienne Chimamanda Ngori Adichie au succès mondial. Résolument féministe, Maria Grazzia Chiuri s’est associée en collaboration avec l’oratrice pour cette création. La pièce est doublement subversive et paradoxale. Elle déconstruit les codes et les exigences de la mode et mélange les deux mondes de la haute couture et de la culture populaire a priori pourtant opposés. Qui s’attend à voir un simple t-shirt avec des inscriptions, si commun dans le commerce depuis des années déjà, comme pièce majeure d’une collection de la plus grande maison parisienne ? Qui pouvait imaginer que l’esthétique colorée, presque « girly », de la culture populaire avait sa place dans un défilé ?



We should all be feminists présenté lors du premier défilé Dior de Maria Grazzia Chiuri en 2017.



Mais ces deux surprises liées à l’œuvre et à son contexte de création sont finalement bien peu de chose face à l’immense réception qui lui a été faite. Le message politique inscrit sur le t-shirt et son marketing sont les vrais responsables du succès mondial d’une pièce (à tout de même 550 €). Assiste-t-on aujourd’hui à la naissance d’une nouvelle manière de concevoir la mode et l’engagement artistique ?


La mode devient un art explicitement engagé à travers des œuvres qui ne veulent plus seulement bouleverser le monde de la haute couture, mais avoir un effet déterminant sur la société. La mode — tout comme le cinéma — est à la fois un art et une industrie. Cette tension se retrouve explicitement à travers l’opposition entre des collections prêtes à porter en série et la haute couture fabriquée main. Cette dernière assurément est art de façon évidente. Les défilés de collections permettent, en effet, d’observer des pièces souvent uniques, nécessitant de longs mois de travail et des techniques particulières. Elles portent également en elles la subjectivité de leur créateur, son intention créative voire son génie pour les plus brillants d’entre eux, sans que la question de l’utilité (ou de la portabilité réelle du vêtement) ne soit jamais un sujet.


Mais cette mode qui se veut art ne fut jamais aussi engagée que jusqu’à présent. Certes, le tissu est depuis son essor contemporain au XXe siècle un manifeste à lui tout seul. Coco Chanel voit dans ses lignes de vêtement une manière de libérer la femme. Mais cette première forme d’art engagé n’est pas celle du t-shirt de Dior. Si les pantalons féminins d’Yves Saint Laurent sont perçus comme engagés, c’est en tant que qu’objet d’art révolutionnant la vie et la vision des femmes sur le vêtement, tandis que le t-shirt Dior n’apporte rien de plus à son domaine. Il n’est que le support d’une expression politique au lieu d’en être le réel objet (Dior aurait pu produire un mug au lieu d’un vêtement, cela n’a pas tant d’importance finalement). Grazzia Chiuri déclara « Faire un t-shirt est le moyen le plus efficace pour faire passer le message ». Le message plutôt que l’objet, donc ; sans doute la forme la plus aboutie d’art engagé. Les deux créatrices souhaitent casser l’image légère de la mode pour oser dire et proclamer les problèmes de leur époque « La mode est censée être frivole, je ne suis évidemment pas de cet avis ! je pense que l’idée d’utiliser la mode pour défendre le féminisme est en soi subversive ».


Mais alors, qu’est-ce qui rend ce t-shirt si révolutionnaire s’il n’a rien d’original ? Comme une véritable œuvre d’art, ce sont les yeux et la réception du public qui construit et sanctuarise l’objet comme artistique. La mode sert ici de vecteur de diffusion au plus large nombre, c’est une tribune d’opinion qui vise à choquer, à créer le débat, à relayer les idées nouvelles de son temps. Pour Chimamanda Ngori Adichie « un t-shirt ne va pas changer le monde, mais je pense que les choses peuvent changer en répandant nos idées ».


Toucher une large audience est donc le but même d’une telle pièce de couture. La simplicité du t-shirt et son engagement clair en faveur du féminisme l’ont rapidement transformé en succès marketing. Les plus grandes stars américaines s’en sont emparées et l’inscription en anglais aide à sa diffusion mondiale jusqu’au cœur des tendances des réseaux sociaux. La directrice artistique de Dior voit dans ce succès populaire sa véritable consécration « J’étais très heureuse quand je rencontrais à travers le monde de jeunes filles qui portaient une contrefaçon de notre t-shirt. Elles ne savaient pas qui l’avait conçu, mais elles l’ont acheté, car elles avaient compris le message ». Le t-shirt design, moderne, et affirmant les idées de son porteur a considérablement rajeuni et dynamiser l’image du féminisme. On peut être féministe militante, cool et active. La notion d’empowerment représente ce nouvel idéal d’action et de légitimation que la vielle vague féminisme émancipateur ne suscite plus.

Cependant, une telle réussite, un tel bouleversement dans la représentation mentale que l’opinion populaire se fait du féministe montrer également la force de persuasion que la société de consommation peut appliquer sur tous les combats. Beaucoup de militantes ont critiqué la maison Dior pour « femvertising », l’ont accusée de se faire de l’argent et une belle réputation grâce à leur cause. Le capitalisme a réussi ingérer puis transformer le mouvement féministe en un produit de luxe, en une femme sexy, indépendante et libérale. Toutes les autres marques de vêtement se sont désormais engouffrées dans ce nouveau marché des vêtements floqués avec des valeurs fortes.

On peut d’ailleurs y voir un paradoxe : comment oser porter des vêtements ouvertement féministes lorsque l’industrie de la mode est régulièrement décriée pour ses problèmes d’instrumentalisation du corps des femmes, de maintien des stéréotypes et de son manque de diversité dans ses représentations ?


Pour conclure, le t-shirt Dior est un prétexte pour aborder les secousses majeures qui sont en train d’aboutir à une nouvelle définition de la mode comme art engagé. Devenu support politique davantage qu’objet politique, le vêtement est récupéré et réinterprété par le grand public au-delà du petit monde restreint des défilés et des salons. Le rôle du créateur est magnifié comme un artiste témoin et acteur de son temps, presque en avance. Maria Grazzia Chiuri parle de ses prédécesseurs comme « des contributeurs à faire grandir la marque Dior. (…) Chaque maison a choisi le bon couturier pour représenter son époque. » Et si finalement ce n’était pas tant la mode et son t-shirt qui étaient révolutionnaires que le nouveau courant féministe qui l’imprègne désormais ?


Louis JANVIER


Sources :


- Alexandra Pizzuto. (2018). #SuccessStory : Le t-shirt féministe de Dior. Marie Claire. https://www.marieclaire.fr/successstory-le-t-shirt-feministe-de-dior,848734.asp

- Chimamanda Adichie on the Dior Autumn-Winter 2019-2020 Haute Couture Show. Interview]. Christian Dior youtube channel. https://www.youtube.com/watch?v=sVCZzh93jXk

- Dior. (s. d.). T-shirt « We Should All Be Feminists » Jersey de coton et lin blancs—Prêt-à-porter—Mode Femme | DIOR. https://www.dior.com/fr_fr/products/couture-843T03TA428_X0200-t-shirt-we-should-all-be-feminists-jersey-de-coton-et-lin-blancs

- Laurent Lunetta. Militante aux icônes Pop | Pop féminisme | ARTE [Documentaire]. Arte. https://www.youtube.com/watch?v=I4-w3tLYcHQ

- Magali Faure. Haute couture : Maria Grazia Chiuri, la « prima donna » de la maison Dior [Reportage]. France 24. https://www.youtube.com/watch?v=Hu4YVh_icV0

- Mathilde Bouthier De La Tour. « We should all be feminists » by Dior, quand la mode rencontre le féminisme sur le dos des stars. Le Journal des Femmes. https://www.journaldesfemmes.fr/mode/looks-de-star/1740893-t-shirt-dior-we-should-all-be-feminists-maria-grazia-chiuri-printemps-ete-2017-feminisme-people/



 
 
 

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