Et si on s'intéressait au monde du tatouage ?
- Ex-Situ - Courant d'art
- 8 mai 2020
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 juin 2020
Malgré un rejet durant de longues années, le tatouage est aujourd'hui reconnu comme un art primitif et trouve dans sa popularité de nombreux défenseurs. Dans cette retranscription orale, Anaïs Troin, étudiante en L3 d'art-plastique interroge une jeune tatoueuse, Liza Kuma, qui aujourd'hui travaille à Toulon au Newskin Tattoo.
En quoi consiste votre métier ?
Donc à tatouer tout simplement. A embellir les gens, à leur rappeler des souvenirs positifs ou négatifs. Mais voilà à marquer les gens d'un souvenir intemporel.
Êtes-vous auto-entrepreneur(se) ou travaillez-vous dans une entreprise ?
Oui, je suis auto-entrepreneuse.
Comment s’hiérarchise votre métier ?
Alors c'est compliqué parce qu'en France, le tatouage ce n’est pas reconnu donc on n’a pas de statut véritable. Donc en gros on est assez indépendant. Bon après si tu travailles dans un salon y a plus ou moins une hiérarchie mais bon c'est comme j'ai dit ce n’est pas reconnu. Donc voilà c'est toi ton propre patron. Après tu peux être avec des collègues, dans le salon de quelqu'un qui du coup est un petit peu ton patron. C'est compliqué.
Est-ce qu'il y a une possibilité d'évolution dans le métier ?
Il y a une évolution personnelle forcement parce que tu prends du niveau en dessin, en tatouage toute ta vie ça c'est clair. Et une évolution, en fait ça marche beaucoup avec les réseaux sociaux, si tu deviens célèbre forcément qu'il y a une évolution possible. C'est très ouvert en fait et tu peux rester dans l'anonymat ou tatouer dans le coin, ou vraiment être mondialement connu, y n’a pas de palier en mode je peux m'arrêter à tant de célébrités, c'est l'inconnu en fait. Ça dépend de qui te connaît, si tu voyages, tout est possible dans le tatouage, vraiment. Mais, il faut se donner les moyens, forcément.
Quel est votre temps de travail par semaine ou par jour ?
Je parle vraiment du temps de travail sans compter le tatouage. Le dessin tout ce qu'il y a autour, alors bonne question. Je fais 6h30 x 5. Un jour où on ferme une heure plus tôt. Donc on travaille à peu près 6h30 par jour. Mais après il faut savoir que les pauses de midi généralement on mange en 20 minutes et on retravaille quand même, donc on va dire 7h par jour.
Comment se déroule une journée type ?
Alors, ça dépend, parce qu’encore une fois s’il y a des rendez-vous. Tu arrives, tu prépares ta pièce, tu montes toute ta salle, tu colophanes, tu mets tout au propre. Ensuite ton client arrive, tu poses son calque, tu définis la zone à poser le calque etc., et après tu le piques tout simplement jusqu'à « ce que mort s'en suive ». Mais si y n’a pas de rendez-vous, une journée type : tu vas au salon, tu dessines pour tes futurs clients, tes projets. Si tu n'as pas de clients et de projets, ce qui est mon cas pour l'instant, tu dessines des flashs. Après tu peux publier sur internet, tu te fais des petits comptes Instagram, Facebook, tout ce qui est réseaux sociaux et après tu postes dessus tes petits « flashs », tu te fais ta petite pub jusqu'à avoir des rendez-vous voilà. Mais si t'as pas de clients c'est assez libre, tu peux dessiner, faire ce que tu veux, voilà tout simplement. Mais le mieux c'est d'avoir des clients quand même !
Quelle est votre rémunération à peu près ? Comment ça marche ?
Alors, c'est une question très vaste. Parce que ça dépend totalement de la clientèle et faut savoir que c'est assez aléatoire. Il y a un mois on va dire, où il peut y avoir beaucoup de monde et un autre, beaucoup moins, enfin c'est assez aléatoire. Franchement je ne peux pas donner de chiffres parce que déjà je suis apprentie donc je ne gagne pas autant qu'un professionnel. Donc je ne peux pas répondre à cette question. Mais on peut, si je me base sur les revenus autour de moi on va dire que tu peux sortir 1000 euros par mois environ on va dire, déjà, au moins, histoire d'être bien. Et encore y en a qui ne sortent pas 1000 euros, j'ai mon autre collègue je ne crois pas qu'il sorte 1000 euros par mois. On a dire, environ 1000 euros pour le minimum. Après, c'est dur parce que c'est assez vaste. Ça dépend vraiment de ta clientèle et elle est très aléatoire donc revenus aléatoire.
Avez-vous de nombreux déplacements à effectuer ? Est-ce que c'est un métier qui fait que du coup il faut être mobile ?
Ça dépend. T'es pas obligée, [...] nous on fait des conventions, comme celle de Toulon un peu les alentours, La Ciotat, etc. Mais ça c'est, ça dépend que de toi. Si t'as envie de faire beaucoup de conventions, et où même des « guest », c'est-à-dire aller ponctuellement dans un autre salon en France tu demandes l'autorisation. Tu dis « Voilà je m'appelle un tel, je fais tel tattoos, est-ce que je peux venir en guest » ils regardent ton travail si ça leur plaît ils disent « Ouais tu peux venir » : c'est vraiment indépendant de la personne. Il y n’a pas beaucoup de déplacements si tu travailles dans un salon à l'année et que t'y es bien et que ne t’as pas envie de bouger, t'es pas obligé. Si tu veux faire beaucoup de déplacements tu peux. C'est vraiment très libre.
Quels sont les événements qui vous ont amener à ce métier ?
J'ai toujours aimé le piercing, le tatouage depuis petite. J'ai toujours été fascinée par ceux qui étaient percés, tatoués, je ne sais pas j'avais l'impression que ça leur donnait une sorte de force. Et ensuite j'ai fait des études à Aix-en-Provence [...] en psycho. J'ai toujours aimé dessiner ça c'est un truc que j'ai toujours adoré, je dessinais mal mais j'aimais bien. J'ai toujours aimé dessiner, j'ai toujours adoré les mangas depuis gamine j'en ai toujours une tonne, et en fait il faut savoir que mes études... Je n’y allais pas trop quoi, j'aimais beaucoup mon lit. Du coup je n’étais pas très sérieuse et un jour mon père m'a téléphoné et il m'a dit « Écoute, je sais que t’aimes beaucoup dessiner, t'aimerais pas faire un métier dans l'art ? » . Dès qu'il m'a dit ça, j'ai eu le déclic, j'ai raccroché, j'ai dit : « bon ben on déménage, on se casse ». J'ai arrêté mes études je suis allée direct dans le tattoo, donc j'ai dessiné en gros pendant trois ans chez moi et à côté en ayant un petit boulot, pour m'améliorer en dessin parce que ce n’était pas ça et j'ai bossé comme une dingue.
Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
Parce que je pense qu'il me correspond. Je suis quelqu'un qui n’aime pas être enfermée, j'aime avoir des libertés. Les bureaux ce n’est pas mon truc. Je n’aime pas qu'on m'impose des choses et surtout je suis quelqu'un qui n’écoute pas trop, enfin je suis trop dans mon imaginaire. Ça me convient tout à fait parce que je peux imaginer ce que je veux, je suis quelqu'un de super sociable donc j'aime bien parler aux gens, là c'est super libre, donc ils nous racontent leurs histoires. J'ai fait psycho aussi, donc en fait c'est une « filière » on va dire, moi les gens ils me parlent de leurs vies, ce que leurs tattoos leur évoquent, j'aime tout dans ce milieu. La liberté, le fait qu'on puisse s'exprimer...
Quels sont les intérêts de ce métier et les difficultés ?
Alors les intérêts : c'est que la liberté justement, tu créés. Tu créés au quotidien, donc t'es très libre, pareil si t'as envie de voyager tu voyages, tu fais vraiment comme tu veux. Mais les difficultés aussi l'argent, si tu n’as pas trop de clientèle c'est compliqué parce qu'en auto-entrepreneur c'est délicat, faut savoir que si tu perds ton travail, t'as pas d'aides, t'as pas de Pôle Emploi, t'as rien du tout. Tout dépend de toi et toi seul donc ça c'est compliqué. Pareil tu peux avoir des difficultés à demander des prêts pour acheter une maison, si tu veux, enfin y a des barrières. Après tu peux les avoir quand même faut se débrouiller, faut faire un beau sourire au banquier mais voilà, le truc c'est que tu peux compter que sur toi-même niveau finance, c'est ça qui est cocasse. C'est un peu l'envers du décor, faut vraiment savoir se gérer et gérer son argent et au début c'est compliqué.
Quelles compétences et qualités personnelles sont favorables pour exercer ce métier ?
Bon déjà il faut savoir dessiner, ça c'est sûr, y en a qui le font qui ne savent pas dessiner et c'est dommage parce que s’ils n’ont pas d'abord la passion du dessin. Il y en a qui font ça pour l'argent parce que ça rapporte un peu aussi. Donc qualité niveau dessin, ça c'est sûr il faut savoir dessiner, être à l'écoute du client évidement parce que tu ne vas pas faire ce qu'il n’a pas envie. Si toi tu t'imagines des trucs de fou mais que lui il ne voulait pas tant [...], il faut être à l'écoute du client, pouvoir comprendre ce qu'il veut.
La créativité bien sûr ça va de soi. Je pense que la sociabilité aussi ça fait partie de ça parce que si t'es renfermée sur toi-même les gens ne vont pas avoir envie d'aller vers toi.
Et le sérieux normal, parce qu’il y a aussi beaucoup de tatoueurs pas sérieux qui n’arrivent pas à l'heure, ça donne une mauvaise image aux gens du tatouage. Perso, là où je suis mon patron c’est qu’il n’est jamais en retard.
Voilà je pense qu'on a réuni les qualités, à l'écoute, créativité, rigueur, sérieux, sociabilité, je pense qu'on est pas mal.
Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?
Alors, encore une fois la liberté d'expression, tout simplement. Pouvoir être soi-même sans barrières. Pouvoir dessiner comme tu veux, avoir un champ des possibles infini et ça, ça me plait.
Et qu'est-ce qui vous plaît le moins ?
Bonne question parce que pour moi ce n’est même pas un travail tellement j'aime ça. Ce qui me plaît moins alors il va falloir que je trouve un défaut. Je suis obligée ?
Ce qui me plaît le moins on va dire voilà ce sont les papiers derrière que ça engendre parce que l'auto-entreprise. C'est compliqué il y a beaucoup de papiers à gérer et quand on est jeune on ne comprend pas tous les termes, ce qui est mon cas.
Je dirais que c'est le seul inconvénient : gérer les papiers, l'auto-entreprise, tout ça. Mais bon il y tellement de qualités que les défauts ne sont pas très graves ; quand on sait qu’il y a des boulots horribles je préfère ça, je préfère ça gérer des papiers chiants que faire un boulot chiant.
Quelle formation avez-vous faite et quel est votre parcours ?
J'ai fait une formation d'hygiène de 3-4 jours obligatoire. Donc ça, ça coûte des sous aussi. Moi je l'ai payé 450 euros. Il y en a des plus chères mais pas des moins chères.
Il y a une formation hygiène obligatoire pour tous les tatoueurs. Ensuite, il n’y en a pas d'autres, c'est la seule chose à avoir si tu veux être tatoueur et bien sûr savoir dessiner. Moi mon parcours j'ai toujours aimé dessiner mais après pendant 3 ans j'ai dessiné comme une dingue, 7h par jour chez moi, j'aimais ça vraiment, j'avais envie de m'améliorer tout simplement. J'ai pris quelques cours à côté, je n’ai pas fait d'études d'art forcément pour faire ça. Si tu montres que tu as envie et que si ton « book » plaît à un tatoueur, si tu as un style original, particulier, ça peut le faire. Il n’y a pas un parcours particulier. J'ai bossé, mine de rien, même si c'était chez moi. Je n’ai pas fait semblant.
Quels conseils donneriez-vous des jeunes qui souhaiteraient exercer ce métier ?
Se lancer très rapidement avant saturation. C'est, je pense que c'est maintenant ou jamais comme j'ai dit tout à l'heure. [...] Des tatoueurs, là y en a beaucoup. Beaucoup de tatoueurs blasés parce que y en a beaucoup qui ouvrent leur propre salon sans même avoir suivi de formation. Déjà c'est débile je trouve de ruiner la peau des gens, se prendre pour un professionnel alors qu’on ne l’ait pas. Donc conseil lancez-vous vite. C'est maintenant ou jamais car après ce sera saturé.
Et puis et ne pas faire ça [...] pour les tunes : ne fais pas ça. Laisse ça aux gens créatifs, aux gens qui ont vraiment envie, par passion du dessin, de l'art, [...].
Donc je pense que c'est tout ce que je conseille. Et les passionnés persévérez et voilà quoi mais il faut y aller maintenant.
J’espère que cette interview vous aura plu. Je vous mets également son Instagram et celui du salon dans lequel elle travaille.
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